L’impact de la pandémie sur les sources de revenus du Maroc

Par Achouwak Jammar

Le secteur du tourisme et les transferts d’argent de la part des Marocains résidant à l’étranger ont souffert de la pandémie.

La pandémie a eu un impact négatif sur l’économie marocaine, notamment pendant le confinement mis en place à la mi-mars dans le pays et à l’international. Parmi les secteurs en difficulté, le secteur du tourisme a connu un vrai déclin suite à la fermeture des frontières. De même, les transferts de fonds des Marocains résidant à l’étranger (MRE) ont été aussi touchés par la pandémie.

L’impact du COVID-19 sur le secteur touristique au Maroc

Le Maroc est connu par sa situation géographique, sa diversité culturelle, son climat et son ouverture économique et politique vers l’extérieur, ce qui fait du secteur du tourisme un pilier important pour le développement économique du pays. 

Le tourisme est classé au premier rang des sources de devises extérieures en comparaison avec les autres comptes extérieurs de la balance commerciale du pays, tels que les exportations, les importations, les transferts des MRE, les investissements directs étrangers (IDE) et les investissements des MRE.

Selon le graphique ci-dessus, le secteur du tourisme représente presque 6,6% du PIB marocain avec un montant de 78 600 MDHS en 2018, selon le ministère de l’Economie, des finances et de la réforme de l’administration.

Pour calculer la recette touristique du pays, il est essentiel de prendre en considération certains éléments, notamment les arrivées hors MRE, les entrées de voyageurs contrôlées aux frontières, et les nuitées touristiques dans les hôtels.

Ces dix dernières années, le Maroc a régulièrement tenté d’augmenter sa recette touristique tout en suivant une stratégie sectorielle appelée “Vision 2020 pour le tourisme”, mais avec l’apparition du coronavirus en mois de mars, le pays a été obligé de mettre en place des mesures liées au confinement, dont la fermeture des frontières afin de limiter la propagation de la pandémie. Ce a naturellement diminué le nombre d’entrées de voyageurs.

 Quant aux dépenses, elles ont atteint 7.950 millions de dirhams en fin septembre 2020 contre 15.952 millions de dirhams en 2019, soit une baisse de plus de 50 %.

Il est à noter qu’un ensemble d’activités économiques font partie du tourisme, comme l’hébergement, la restauration, le secteur aérien et les agences de voyages. Toutes ces activités ont été touchées par les mesures de confinement au Maroc.

L’écosystème touristique marocain en chiffres
Source : Ministère du Tourisme, de l’Artisanat, du Transport Aérien et de l’Economie Sociale

Avec la déclaration de l’état de l’urgence sanitaire en mars, les activités touristiques ont été suspendues à cause de la fermeture des frontières dont les agences de voyages, les établissements d’hébergement et les aéroports, qui ont perdu leurs clients à cause de l’annulation des vols et de l’opération “Marhaba 2020”, sans oublier que certains employés de ces établissements ont perdu leur travail dans le cadre de licenciements économiques.

Selon Professeur Hicham Assalih, consultant en finance et enseignant-chercheur à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales Ibn Tofail, depuis la fermeture des frontières en mars et même après le déconfinement et l’autorisation d’entrée aux touristes étrangers en mois de juillet, “le secteur touristique est au plus mal, et cela n’épargne aucune activité liée au secteur, qu’il s’agit des hôtels (quel que soit leur classement), des riads, des agences de voyages, des aéroports et même les activités satellitaires comme les bazars, les restaurants, les cafés, les guides touristiques, les chauffeurs de taxi, voir des calèches, etc.”

Il est évident que toutes ces activités sont dépendantes des afflux de touristes, “donc s’il n’y a pas de touristes, il n’y aura ni tourisme ni activité”, note le chercheur.

Hicham Assalih ajoute que cela a placé le secteur dans une situation délicate, d’autant que les touristes étrangers constituent la base des principaux revenus et que pour le Maroc n’y a pas d’autre relais de croissance en cas de crise mondiale. 

Si le tourisme intérieur aurait pu compenser une partie des pertes, le niveau de vie de la majorité des Marocains ne l’a malheureusement pas permis. Selon Hicham Assalih, la non adaptation des offres du secteur à un clientèle moins aisée, accentue d’autant plus la crise dans le secteur. Cela veut dire “moins de rentrée d’argent, des licenciements de masse, des fermetures d’établissement, moins de chiffres d’affaires pour les agences de voyages, moins de fréquentation d’aéroports, etc.

L’impact est terrible et le pire c’est qu’il va continuer jusqu’à la mise sur le marché d’un vaccin, et quand je dis ça, il faut prendre en considération les différences entre les différents pays et à quel moment les populations vont être vaccinées.”

Concernant les répercussions des pertes qui ont touché le secteur du tourisme à cause du coronavirus sur la situation économique du pays, le Professeur Assalih indique qu’elles passent de la baisse des rentrées des devises (vital pour un pays comme le Maroc, qui importe beaucoup et a besoin des devises pour régler ces importations et même sa dette étrangère), la baisse des recettes fiscales liés à la baisse de l’activités des acteurs économiques du secteur et celui de la consommation, l’explosion du chômage (dans un pays où le taux de chômage tourne déjà autour de 10%), allant jusqu’à la possibilité de troubles sociaux et de manifestations comme on l’a vu récemment dans certaines villes touristiques.

Il ajoute que : “Dans un pays endetté, avec une croissance négative, un taux de chômage important et un déficit commercial et budgétaire structurel, c’est catastrophique ! Surtout si l’on connaît l’importance de ce secteur dans la stratégie de développement d’un pays comme le nôtre. Cela dit, il faut rester confiant dans notre économie qui est de plus en plus diversifiée et que cette épidémie va partir dès que des vaccins performants seront mis sur le marché.”

D’après le Pr. Assalih, le secteur du tourisme souffre de certains problèmes structurels, tel que le manque de diversification des marchés à l’international (à cause du manque de touristes japonais, chinois, américains ou russes, qui dépensent davantage), le manque de diversification de l’offre au niveau national (vu que le Maroc est toujours considéré comme un pays où il n’y a que la plage, le soleil et des prix bas) et surtout la non adaptation des offres au tourisme interne.

Pour améliorer le secteur du tourisme et surmonter cette crise, il propose de diversifier les marchés (d’autres pays), diversifier l’offre (culture, nature, etc.), encourager le tourisme intérieur et restructurer les activités des acteurs du secteur (formation, sortie de l’informel, nouvelles méthodes de gestion, nouveaux investissements, etc).

L’impact du COVID-19 sur les transferts de fonds MRE

Le FMI définit les transferts de fonds comme étant des revenus de ménages provenant d’économies étrangères et résultant principalement du déplacement temporaire ou permanent de personnes vers les économies de leurs pays d’origines. 

Le FMI classe les envois de fonds en deux circuits ; le premier est formel et envoyé sous forme de virement électronique.  Le deuxième est considéré comme un circuit informel présenté en espèces transportées au-delà des frontières dans les poches

Le Maroc est considéré comme étant un pays d’immigration, de transit et d’émigration, dont la taille de ces ressortissants vivant à l’étranger est estimée à 0.26% de la population totale du pays selon la Banque mondiale.

Selon le résultat de l’enquête nationale sur la migration internationale 2018-2019 publiée par le Haut-commissariat au plan (HCP), les motifs qui poussent les individus à migrer sont liés essentiellement à des raisons économiques comme la recherche de l’emploi. En somme, les individus migrent afin d’aider leurs familles restées au pays et ceci constitue la part importante des transferts de fonds des MRE dans le PIB du Maroc. Ces transferts sont classés au deuxième rang des sources de devises extérieurs avec un taux de 5.9% du PIB selon le ministère de l’Economie, des finances et de la réforme de l’administration. 

Les transferts de fonds des MRE sont présentés dans la balance commerciale du pays, publiée chaque année par l’Office des changes marocain au niveau de la rubrique “compte des transactions courantes”.

Il est évident que le coronavirus a affecté la situation économique à l’échelle mondiale ainsi que le marché du travail et les sources de revenus des migrants , quelles que soient leurs situations régulières ou irrégulières, ce qui a contribué à la baisse des envois de fonds reçus par le Maroc de la part des MRE.

Evolution des recettes des MRE
Source : Ofiice des changes

 Selon l’Office des changes, les envois de fonds des MRE ont enregistré 43.434 millions de dirhams de janvier à août 2020 contre un de 44. 456 millions de dirhams sur la même période de 2019, soit un recul de 2.3%. 

  • Voici le décryptage du professeur Hicham Assalih

Pensez-vous que le Covid-19 a eu un impact sur les transferts de fonds des MRE ?

Si on analyse les statistiques sur la croissance (à vrai dire la décroissance économique), l’évolution importante du taux de chômage et le nombre d’entreprises en difficulté ou en faillite dans les pays où la majorité de nos Marocains résident, on comprend rapidement l’impact de la crise sanitaire sur les transferts des MRE vers le Maroc. En effet, moins de croissance dans ces pays, c’est moins de revenus pour nos MRE et donc moins de transferts d’argent aux familles au Maroc. 

Il faut savoir que ce phénomène aura toujours lieu dans la mesure où dès qu’il y a une crise financière ou sanitaire importante, le niveau des transferts va baisser. Après, son importance varie en fonction de l’importance de la crise et son influence sur les revenus de nos citoyens qui vivent à l’étranger.

La baisse des transferts des MRE peut-elle influencer l’économie marocaine ?

Oui bien sûr. L’argent envoyé par les MRE est directement injectédans l’économie nationale que ce soit sous forme de consommation, d’investissement ou d’épargne dans le secteur bancaire.                                                                                                                                                            

Ce qui veut dire, qu’avec moins de consommation, moins d’investissement et moins de liquidités pour les banques, cela impactera l’économie marocaine en général et en particulier dans les régions du Maroc où la manne des MRE est importante pour faire tourner l’activité économique, comme dans la région de l’est ou près de chez nous dans la région de Khouribga par exemple. En effet, il faut savoir qu’il y a des familles, des villes, voire des régions entières qui vivent de ces transferts d’argent. 

Et cela peut aller même plus loin si l’on prend en considération que ces entrées de devises nous permettent de payer nos importations et notre dette à l’étranger. En effet, la baisse des transferts, conjuguée à la crise du secteur du tourisme et la baisse des exportations auront  – si cela ne change pas rapidement un effet très négatif sur nos réserves de change et donc notre capacité à faire face à nos engagements internationaux.

En définitive, cette crise sanitaire avait un impact économique et social non seulement sur le Maroc mais aussi à l’échelle internationale, ce qui a influencé les comptes extérieurs du pays, comme le tourisme et les transferts de fonds des MRE. 

Dès le début de la crise, le Maroc a essayé de mettre en place toutes les mesures adéquates dans le but de contrôler la propagation du virus, certaines ont été adoptées même après le déconfinement, tels que le respect des mesures sanitaires dans tous les établissements publiques et privés, la digitalisation des services administratives et la facilitation d’accès à l’information ; sans oublier les décisions prises par le comité de veille économique et social mis en place par le pays afin de gérer et améliorer les secteurs touchés par la crise.

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